Les Plantes, si Vivantes…
Si vous passez dans le jardin botanique d’une visite rapide, vous verrez une belle spirale subdivisée en plusieurs thèmes, et de grandes serres, mais si vous avez la chance comme nous d’être accompagnés de Bernadette Grosso, de vous pencher, de regarder, de toucher, de sentir ces centaines de plantes de nos pays tempérés ou d’ailleurs, vous commencerez une vraie rencontre avec le monde végétal, ces êtres fixés et pourtant si vivants.
Pour commencer la visite, voici de beaux arbres : le Tetraclinis, dont le bois imputrescible est très utilisé en marqueterie, les Pistachiers âgés de 150 ans et aujourd’hui fusionnels, ou bien encore « l’arbre à la veuve » conifère dont le nom est lié au risque mortel de recevoir un de ses énormes fruits.
Les plantes jouent un grand rôle dans l’artisanat et l’industrie et nous racontent l’histoire : l’utilisation très ancienne de leurs fibres (la vannerie a précédé la poterie pour le port d’objets), ou de leurs qualités tinctoriales comme le Pastel ou la Garance. Savez vous que le bleu Pastel qui connut son apogée au XVème et XVème siècle et fit la fortune d’Albi et de Toulouse, est issu d’un traitement des feuilles au secret « jalousement gardé », et que la découverte de nouveaux colorants tel que l’Indigo entraîna le « crash pastelier » et la perte de nombreux métiers issus de cette exploitation ?
Depuis la préhistoire, les plantes constituent la base de l’alimentation de l’humanité. Les hommes ont associé les céréales (le blé, l’orge, le seigle) aux légumineuses (dont le fruit est une gousse comme le haricot), ce qui évite les carences. Au jardin, vous verrez les quelques douze espèces de Blé ou d’Epeautre, celles aux longues barbes et celles aux grains charnus, les plus anciennes étant les plus résistantes.
Savons nous reconnaître le Houblon femelle (seule producteur de l’arome de la bière) du Houblon mâle chez cette liane dioïque (à sexes distincts), et tous les tubercules alimentaires telle la Pomme de Terre le Manioc ou l’Igname ?
Les plantes ont des vertus médicinales ou aromatiques, certaines en ont de multiples. La sauge qui par ses huiles essentielles stimule l’appétit, est avec l’huile d’olive et l’ail, une des trois panacées les plus stables. Cependant, les soins par les plantes doivent être pratiqués par de vrais « aromathérapeutes », en voie de disparition, car « le naturel peut tuer » contrairement à quelque idée reçue, et les molécules produites par les plantes doivent être savamment dosées, « à la goutte ». Que de femmes sont mortes d’un mauvais dosage de la « Rue » aux effets abortifs et hémorragiques et que de malades furent soignés pour la folie par des plantes qui se révélèrent de véritables poisons !
Elles sont parfois d’emblée mortelles comme la Ciguë ou le Laurier rose, ou toxiques comme le Muguet pourtant « porte bonheur », et il est important d’apprendre aux enfants à les connaître, à leur transmettre ce que des générations d’humains ont lentement appris et compris par la pratique. Pourquoi fait-on baver et jeûner les escargots avant de les consommer ? C’est qu’ils résistent à nombreux de nos poisons !
Les végétaux ont un grand impact sur le mental humain, tel le sureau « bon génie des jardins » et sa baguette d’où jaillit la musique. A l’opposé, la Mandragore, « herbe aux sorciers » aux effets hallucinogènes et soporifiques devint par une dérive symbolique, une plante maléfique liée au sabbat et à l’envol des sorcières. Son arrachage, en provoquant un bruit mortel, dériva vers un rituel utilisant un chien qui devait être noir et mourir. Cette Solanacée bien connue des paysans rendit suspecte l’introduction d’espèces voisines et ressemblantes, comme la Pomme de Terre ou la Tomate. Si l’on sépare « le bon grain de l’Ivraie », plante enivrante pour l’humain, il arrive parfois, par un mystère de l’évolution, que certaines plantes n’agissent que sur certaines espèces, comme « l’herbe à chat » (Catarie) qui stimule la libido des félins non castrés.
Parfois objets de ruse, pour tromper ou émouvoir, on utilisait la Myrte dans les orgies romaines pour dissiper l’haleine d’alcool, et au moyen age, l’herbe aux gueux » (Clématite) pour se faire de fausses pustules. Le Tamier ou « L’herbe aux femmes battues » enlevait les bleus grâce à l’oxalate présent dans son rhizome.
Les plantes ont développé des stratégies de survie, tels les Acacias et les Eucalyptus où de « fausses feuilles » issues d’un élargissement du pétiole peuvent capter le soleil sur les deux faces. Plus loin, on apprend à reconnaître les « Aloés » (d’origine africaine) qui fleurissent chaque année, des Agaves (d’origine américaine) qui ne fleurissent qu’une fois en fin de vie et qui marquent la civilisation sud américaine par la fabrication de sisal, de pulque (sève alimentaire fermentée) ou de saponine (savon).
Dans les serres tropicales sèches ou humides, sont reproduites des conditions climatiques spécifiques à certaines plantes étrangères à nos climats. Dans les serres arides, les « succulentes » (par exemple Cactées) dont la stratégie de survie consiste à stocker l’eau dans les tiges enflées à cuticule épaisse, et à réduire l’évaporation par les feuilles, véritables épines capables de capter de fines gouttelettes d’eau. En regardant bien on y découvre les aréoles, sorte de coussinet d’où naîtra la fleur. On note la convergence de formes développées au cours de l’évolution par des espèces très différentes confrontées au même environnement.
Parmi les plantes adaptées aux milieux hostiles, se trouvent les plantes « carnivores » des milieux boueux et acides carencés en azote organique et qui « mangent » des insectes pour obtenir l’azote nécessaire. Plusieurs sortes de pièges existent - passif tel celui de Sarracenia dont les feuilles déguisées en fleur, et à l’aide d’une goutte de nectar, attirent l’insecte sur un toboggan entonnoir au fond duquel il est littéralement digéré – ou actifs tels celui de Cephalotus capable de piéger rat ou oisillon, de Drosera aux feuilles gluantes et tentaculaires ou encore de la Dionée dont les deux mâchoires se referment en quelques secondes sur l’insecte venu malencontreusement se poser là , proie, qui, il faut le préciser, n’est jamais un insecte pollinisateur.
Et l’on réfléchit à travers cette intime rencontre avec le monde végétal, combien les plantes toutes fixées et dépendantes d’un support nutritif, sont prolifiques mais soumises à une forte compétition dans des meilleures conditions, tandis que d’autres sur-adaptées à des milieux difficiles parviennent à échapper à cette lutte entre les espèces.
Merci à Bernadette Grosso de nous avoir fait partager sa passion des plantes, de nous avoir montré combien elles étaient vivantes et suscitaient notre respect, et de nous avoir donné envie d’en connaître davantage.
La visite du Jardin Botanique Henri Gaussen fait partie de la visite du Muséum. Toutefois certaines collections restent visitables sur demande et une formation continue de 5 jours « Initiation à la Botanique et à l’Ethnobotanique » y est régulièrement organisée (Mission formation continue et apprentissage de l’Université Paul Sabatier).
Contact : Jardin botanique et arboretum Henri Gaussen,
39 allées Jules Guesde, 31062 Toulouse cedex 9
Tel : 05 61 55 80 34 Email : jbotahg@cict.fr
Contact direction Dominique Mazau : scsv.ups-tlse.fr/dominique.mazau@free.fr/0612807470
Dominique Mazau
Directeur du Jardin Botanique
Longtemps ignoré par le média de la ville, Dominique Mazau dirige le Jardin Botanique qui appartient au patrimoine de l’Université Paul Sabatier avec une passion sans limite et l’opiniâtreté quotidienne exigée par les plantes. « Il faut être mordu », nous confie t-il pour diriger cette équipe de 5/6 (5 personnes à plein temps et une à temps partiel), et soigner les 2000 plantes du Jardin Botanique et les 250 arbres de l’Arboretum de Jouéou (près de Luchon) dont il a également la charge.
Biochimiste de formation, il enseigne depuis 35 ans la physiologie végétale à l’Université Paul Sabatier. C’est en 1995 que, sollicité par Joachim Deramond directeur de l’UFR SVT, il rejoint l’équipe du jardin et remplace Jacques Vassal, l’ancien directeur du Jardin en 1998 . En 2000, à la naissance du projet de rénovation du Jardin Botanique, Dominique Mazau va s’impliquer avec la même passion qu’il voue aux plantes, faisant don au Musée de sa collection personnelle de plantes succulentes.
« On ne s’improvise pas Jardinier, c’est un métier qui exige un tel amour des plantes » !.
Désintéressé comme tous les chercheurs, il accueille, en plus des visiteurs, de nombreux étudiants en écologie ou en botanique. Si les plantes vous passionnent, n’hésitez pas à le rencontrer, il sera heureux de vous transmettre ses connaissances.
Annie C.
NB. Aujourd’hui, Dominique Mazau, Directeur du Laboratoire d’Etude et de Conservation du Patrimoine est catastrophé par les saccages provoqués par l’orage de grêle qui s’est abattu jeudi 15 mai 2008 sur le centre de la ville détruisant une grande partie des collections extérieures. Nous espérons vivement que le Jardin retrouvera rapidement sa belle allure et son rôle pédagogique, car pour l’instant les visites de groupe sont suspendues.
Bernadette Grosso
chargée des visites au jardin Botanique
Passer deux heures à écouter l’histoire des plantes qu’elle aime avec passion, c’est rencontrer une vraie spécialiste en Botanique. Titulaire d’un doctorat en botanique, spécialiste des Acacias, elle a participé à la structuration du nouveau Jardin, où elle a défendu auprès des Architectes « combien le végétal est un être vivant à part entière, parfois collaborant et parfois en compétition avec les autres êtres vivants ». En nous racontant les histoires des habitants de ce Jardin, elle souhaite que, par une approche Ethnobotanique et anthropocentrique, le visiteur soit amené, dans un deuxième temps, à s’intéresser scientifiquement aux plantes et à la botanique. Et elle y réussit parfaitement, à la fin de la visite notre regard sur les plantes a changé et notre curiosité s’est avivée. On a envie d’y revenir, de regarder encore, de les sentir, les toucher et les aimer.
Annie C.